Alger, envoyée spéciale.
Le type a traversé le réfectoire en hurlant jusqu'à la table où sa femme et ses deux enfants se sont déjà installés. Il les empoigne. Dans la bagarre, elle perd son sac à main, une pochette dorée presque chic, qui tombe à terre. Le sac s'ouvre. Dedans, il n'y a rien. Absolument rien. En silence, les enfants et la femme se laissent traîner dehors par l'homme qui crie toujours. «C'est pour lui une honte terrible que sa famille mange ici. Il dit qu'il préfère continuer à avoir faim», commente une femme voilée. Elle tend la photo d'une jeune fille ravissante. «C'est moi, l'année dernière», dit-elle. Derrière le foulard apparaît un visage gonflé, livide, méconnaissable. Elle a fui Médéa, ville ravagée par la violence, vers le grand nulle part d'Alger, la misère en bouclier.
Pour le ramadan, le Croissant-Rouge organise le F'tour tous les soirs, le repas de la rupture du jeûne, où se retrouvent ceux qui n'ont pas de toit. Djamila fait partie des bénévoles. 41 ans, 7 enfants, un mari gardien de nuit. Expulsée du centre-ville, elle vit dans une cahute, à une heure de bus d'Alger. Elle fait des ménages. «Tout travail est une chance ici, dit-elle. Sans cela et l'aide de quelques amis, comme eux, je ne survivais pas.» Ici, entre ceux qui aident et ceux qui sont aidés, entre ceux qui tiennent encore et ceux qui sont tombés, la cloison est parfois aussi mince qu'une dispute de famille, un coup du sort ou le souffle d'une bombe. «On marche tous, un pied dans le vide,