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Libération

Les oubliés de la Shoah en Hongrie. Quelque 19000 juifs rescapés attendent toujours des dédommagements.

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publié le 3 mars 1998 à 22h02

Budapest, de notre correspondante.

Vêtu d'un costume mité mais repassé, il vient chaque jour chercher son déjeuner à emporter dans cette cantine gratuite gérée par la communauté juive de Budapest, et s'éclipse aussitôt. Lajos préfère regagner son logement de misère à deux pas plutôt que de «s'asseoir avec les vieux», dit-il du haut de ses 89 ans. Il est vrai qu'il n'y a guère que des têtes dodelinantes autour des tables nappées de toile cirée blanche qui s'égayent de chandeliers le vendredi. Sitôt avalé le sholent, plat de haricots rouges traditionnel du shabbat, les nonagénaires partagent brioche et café en marmonnant des chants traditionnels à la lueur des bougies. «Nous accueillons ici les survivants les plus âgés de l'Holocauste», indique Mariann Bencze, jeune animatrice de ce lieu qui sert près de 200 repas par jour au coeur de l'ancien ghetto juif du VIIIe arrondissement où, fin 1944, les cadavres des morts de faim s'entassaient dans les cours jusqu'au premier étage. Survivante. Les rescapés de la Shoah ne meurent pas de faim mais crèvent à petit feu, infiniment plus seuls que le retraité hongrois moyen qui est, lui, soutenu par sa famille. «On m'a tout pris: mon mari, mes enfants, mes parents, frères et soeurs" tous morts à Auschwitz», murmure Lenke Farkas, 87 ans. Hormis une nièce, Rozsa Pasztor a elle aussi perdu toute sa famille, au total 52 personnes, dans le camp de la mort où furent déportés 438 000 juifs hongrois. A 75 ans, elle vit de sa retraite d'infirmière,