Sanaa envoyé spécial
Il est bientôt midi. Les allées du marché de Masbah s'animent lentement. Par petits groupes, les marchands occupent les stands de briques et disposent leur précieuse marchandise enveloppée dans des tissus humides ou des feuilles de bananier. Les consommateurs, djambyia en bandoulière, se pressent, touchent les feuilles, comparent leurs reflets, goûtent parfois. Ils viennent acheter leur ration quotidienne de qat, une plante proche du ficus dont la mastication des pousses les plus tendres plusieurs heures durant procure un état d'excitation proche de celui d'une amphétamine légère. Lorsque les marchands de la région de Hajja font leur entrée, un silence plein de convoitise troue les conversations: ils vendent le chami, le plus cher, le meilleur des qat. Rien que sur la capitale yéménite, il y a plus d'une cinquantaine de marchés exclusivement consacrés au qat.
L'impact du qat sur l'économie yéménite n'a pas d'équivalent. Y a-t-il au monde un pays où un cinquième du revenu des ménages est exclusivement consacré à l'achat quotidien d'un produit considéré comme un stupéfiant par l'Organisation mondiale de la santé (OMS)? Un pays dont la principale production n'apparaît pas dans les comptes nationaux. Un pays dont la principale richesse ne peut quasiment pas être exportée puisque le qat doit être consommé dans les vingt-quatre heures suivant la cueillette. Un pays, enfin, où neuf hommes sur dix ont une joue grosse comme une balle de tennis en fin d'après-midi,