Djakarta, envoyée spéciale.
Entre un coucher de soleil et une équipe anglaise de football, Bacharuddin Yusuf Habibie trône au milieu de la vitrine, dans un cadre doré. Derrière le comptoir, le vendeur de la boutique affiche cet air modeste de ceux qui sont vraiment fiers d'eux: il est le premier du quartier à accrocher la photo officielle du nouveau président de l'Indonésie, à peine nommé la veille dans le départ tumultueux du général Suharto. Il décroche le portrait, le contemple avec grâce. Mais manifeste un étonnement peiné quand on lui demande s'il est un fervent du nouveau chef de l'Etat. «N'importe qui pourrait être président, je m'en fous. Ce qui compte c'est que je vais vendre beaucoup de photos parce que tout le monde va en avoir besoin. Bizness, bizness, bizness.» Même obsession. Hier, dans les rues de Djakarta, rien n'indiquait la liesse ou la déception de voir tomber le maître redouté du pays depuis trente-deux ans. Mais, des pauvres aux plus pauvres, tous ressassaient la même obsession: «Est-ce que tout ce chambardement politique sera bon pour mon argent?» Dans le quartier de Cempakka Puttu, l'écart entre deux maisons permet à peine à deux vélos de se croiser. Sur le seuil, les restes de riz cuit la veille sèchent au soleil sur des mouchoirs pour pouvoir tenir jusqu'au repas suivant. Dans les pièces basses, de plain-pied sur la rue, un lit et une télévision habillent le dépouillement. «Même s'il faut se priver de manger, le poste est obligatoire si on veut être