Djakarta, envoyé spécial.
A travers les baies vitrées du douzième étage du superbe immeuble d'affaires, la vue plonge sur les quartiers pauvres de Djakarta. Sur le rebord de la fenêtre sont disposés, tels des ex-voto, une quinzaine de cadres en Plexiglas vantant des gros contrats se chiffrant en dizaines de millions de dollars. Cravate mordorée, costume ostentatoire, le représentant à Djakarta d'une grande banque d'affaires occidentale a tout du yuppie, si ce n'est sa mine décidément sombre. «Voilà moins d'un an, les prévisions de croissance de l'économie étaient telles qu'on était sur le point d'installer nos bureaux dans une grande tour, de prendre trois étages entiers au lieu d'un demi. Et voilà qu'aujourd'hui le système bancaire de tout le pays est en quasi faillite"» A l'instar de ses pairs et de la Banque mondiale, le banquier rédigeait il y a moins d'un an des rapports consensuels et optimistes sur les perspectives prometteuses du pôle de croissance asiatique. Il avoue aujourd'hui en être même de sa propre poche. Il a placé, dit-il, «tout son argent personnel» dans la plus grande banque privée indonésienne, la Bank Central Asia (BCA). La BCA était réputée des plus fiables avant la démission du président Suharto, pour la simple et bonne raison que 30% des parts appartiennent à la famille de l'ex-président. Mais la BCA vient de rejoindre le club des banques promises à une faillite sinon certaine, du moins probable. Des centaines de petits porteurs font la queue devant l