Menu
Libération

Le grand silence de la Turquie sur son passé. Les ouvrages sur les massacres de 1915 sont en vente libre. Mais personne n'en parle.

Article réservé aux abonnés
publié le 29 mai 1998 à 2h26

Istanbul, envoyé spécial.

Editeur et écrivain, Ragip Zarakolu reste convaincu qu'«un pays refusant à faire les comptes avec son passé est condamné à le revivre». Cet ancien leader du mouvement étudiant en 1968, qui fut l'un des fondateurs de l'Association turque des droits de l'homme, est l'un des rares intellectuels à briser le silence qui entoure toujours en Turquie les massacres de 1915. En 1993, il publiait le Génocide arménien d'Yves Ternon, et sa femme, Aiché, responsable de Belge, leur maison d'édition, était condamnée à deux ans et demi de prison. Le verdict fut ensuite cassé. En 1996, Ragip était à son tour déféré devant la Cour de sûreté de l'Etat, après la publication d'un ouvrage de Vahakn Dadrian, universitaire américain d'origine arménienne et incontournable spécialiste de la question. Accusé au titre de l'article 312 du code pénal «d'incitation à la haine pour des raisons ethniques ou religieuses», il était finalement relaxé, le tribunal estimant que «les Arméniens ne sont plus suffisamment nombreux aujourd'hui pour représenter un problème».

Pas de débat parmi les Arméniens de Turquie. Les deux livres, «désormais acquittés», sont en vente libre en Turquie, mais personne n'en parle ou presque. «Même à gauche et parmi les intellectuels, ce tabou sur la question arménienne est très fortement enraciné», souligne Ragip Zarakolu. Il n'y a pas de débat sur ces événements, délibérément gommés de la mémoire nationale depuis des décennies, y compris parmi les Arméniens de