Belfast, envoyé spécial.
Joyce Quinn a de longue date réagencé son adorable petit cottage pour un meilleur confort dans une toute relative sécurité. Son fauteuil préféré a été tiré contre le mur porteur qui jouxte la cuisine. Mesure salutaire décidée après qu'une balle eut traversé le salon de part en part, effleurant dans sa course le siège moelleux où elle aime tant siroter l'inévitable tasse de thé. C'est le poste de télévision, coiffé d'innombrables babioles en céramique, qui trône désormais à la place du mort. A 61 ans, cette catholique au langage de charretier n'est guère du genre à se laisser impressionner, pas même par les plus radicaux des paramilitaires protestants. Depuis un quart de siècle, elle occupe le 109 de Alliance Avenue comme on tient un poste avancé. Le perron s'ouvre sur le bastion nationaliste d'Ardoyne, les communs donnent sur le fief loyaliste de Ballysillan. Vivre sur cette ligne de front demande une sacrée dose d'obstination, et, femme d'intérieur par la force des choses, puisque son jardinet lui est pratiquement interdit d'accès, Joyce Quinn vit dans son bunker sous des napperons de dentelle.
Tuiles arrachées. Les rideaux de la chambre à coucher cachent un épais grillage. Le 10 juin 1972, alors qu'elle vient d'emménager, un premier cocktail Molotov carbonise la moitié du bâtiment. Ce que le feu n'a pas détruit, les pompiers l'inondent. Depuis ce jour, la cheminée est obstruée, les tuyaux de raccordement au gaz de ville sont durcis. Pour faire bonne