La nuit avance, la fatigue gagne, mais rien ne les ferait bouger.
Depuis plusieurs heures déjà, ces volontaires accourus de toute la région pour aider les secouristes à transporter les blessés savent que leur présence à l'hôpital d'Omagh n'est plus vitale. Mais ils ne peuvent se résoudre à partir. Aucun ne s'en sent la force. Trop d'horreur et la mort, dans sa proximité obscène, les ont profondément bouleversés. Ces solides gaillards, fermiers ou ouvriers, craignent de devoir affronter seuls leur promesse de cauchemar. Alors ils se serrent les coudes, autour d'une tasse de thé, tentent de réconforter les familles de victimes qui attendent, angoissées, des nouvelles des proches. Un marathon imposé à leur conscience dans l'espoir d'en effacer l'insoutenable.
«La ville la plus sûre». Epuisé, enfin, David craque. «Avez-vous jamais ramassé un membre humain? Avez-vous déjà vu quelqu'un mourir dans vos bras?» Les larmes inondent ses yeux rougis. Un ami le réconforte, qui vient pourtant d'apprendre la mort de son frère, adolescent de 16 ans, dont le corps repose à la morgue. «Rien ne prépare les gens à une telle boucherie, confie un psychiatre de la cellule d'urgence; pourtant, l'Ulster flirte avec la violence depuis trente ans. Seulement, jamais un attentat n'avait été aussi monstrueux, par le choix de la cible, le nombre des victimes, alors que la paix semblait si proche. Les habitants d'Omagh sont d'autant plus traumatisés que, durant la guerre, ils étaient persuadés de vivre dans