Moscou, de notre correspondant.
La place Rouge était vide, comme dit la chanson, et derrière la cathédrale de Basile-le-Bienheureux, la descente Vassilevski, point de ralliement final de la manifestation, était loin d'être pleine. Les autorités avaient mobilisé 15 000 policiers, escomptant devoir contenir les très hypothétiques débordements d'une foule de 150 000 mécontents. Ils étaient plus de 50 000, pas du tout serrés comme des sardines, à réclamer, pour la plupart, le départ du président Eltsine au cri de «Démission!», rythmant les discours des syndicalistes qui, sur une lointaine tribune, égrenaient le chapelet des maux dont souffrent les Russes. Slogans antisémites. Sous le ciel bleu qui faisait la joie des bulbes de la cathédrale, ils ont conflué par grappes entreprises, régions ou sections du KPRF (le parti communiste de Zougianov) vers les murs du Kremlin en un lâche et morne cortège, souvent silencieux, laissant aux calicots et aux pancartes personnalisées le soin d'exprimer le mécontentement, la haine. La lassitude n'a pas besoin d'être dite, elle est là sur ces visages fatigués et souvent âgés de russes vêtus chichement de cuir ramolli, de laine terne, détaillant les maigres nuances d'une grisaille généralisée. On retrouve les portraits de Staline et Lénine qu'on sort habituellement pour l'anniversaire de la révolution d'Octobre, il y a encore une fois, çà et là, des slogans antisémites dénonçant les banquiers juifs ou «la marionnette sioniste d'Eltsine». Le