Alger, envoyée spéciale.
En Algérie, pour les visiteurs étrangers, la tradition veut qu'on ne lise pas les journaux: on les «visite». «A Paris, on va voir la tour Eiffel. Chez nous, on va voir la presse», plaisante un des rédacteurs en chef. Depuis des années, chaque délégation étrangère ou visiteur de marque à Alger n'a pas pu échapper dans son programme officiel à une «table ronde avec les journaux indépendants d'Algérie», vantés par les autorités comme «la seule presse libre du monde arabe». Un directeur de quotidien compte sur ses doigts. «On a vu les Canadiens, les Européens, l'ONU, Cohn-Bendit, Bernard-Henri Lévy"» Puis, parodiant un enfant qui réciterait une fable, le directeur ânonne: «Devant tous les visiteurs, on chante le même couplet: le terrorisme c'est dur, nous sommes des victimes, la profession a compté 60 morts. De l'autre côté, le pouvoir aussi nous censure. Nous sommes entre le marteau et l'enclume.» Il s'arrête, lève l'index. «Mais toujours, nous terminons l'exposé en expliquant que, pourtant, nous avons une forme d'expression malgré le conflit, témoignant d'une vraie démocratie naissante.» Et il éclate de rire. Son journal n'est plus imprimé depuis deux semaines, signe de protestation contre ces mêmes autorités. «Nous avons été congédiés comme des domestiques.» Mardi soir pourtant, les directeurs de presse ont mis une fois de plus leur cravate pour rencontrer Bernard Stasi et Georges Morin, élus français en visite à Alger. Mais aujourd'hui, les mots ne