Bagdad envoyé spécial.
Rue Mustansir, jeudi à minuit, on pouvait entendre une mouche voler, mais pas la voir à cause de l'obscurité. Mustansir traverse le souk des orfèvres de cuivre, des cafés à narguilés, des joueurs de mehaibs (jeu de la bague cachée), bruyante et encombrée dans la journée, paisible et joyeuse la nuit. Un épicier, encore ouvert pour les ultimes retardataires, racontait devant sa porte: «Avant la guerre contre l'Iran, le jour du réveillon, six millions de Bagdadis sortaient dans les rues. Le boulevard Saint-Michel n'était rien en comparaison de Mustansir.» Dix-huit ans plus tard, une guerre du Golfe et un bras de fer avec la communauté internationale en plus, hormis quatre ou cinq gamins tapant dans une balle et des petits groupes de jeunes papotant sous les arcades, elle s'apparente à une rue morte pour cette dernière soirée de 1998. Alentour, aucune rumeur de cris ne répondait à aucun écho de concert de Klaxon. Le ramadan (le plus strict depuis le coup d'Etat baasiste), l'embargo et un crachin maussade (incongru en cette saison) avaient scellé le sort d'une fête autrefois populaire et qui égayait la capitale jusqu'à l'aube.
Illuminations. Pourtant, l'Etat n'avait donné aucune consigne d'austérité, bien au contraire. Comme si de rien n'était, la ville était illuminée. Les ponts Al Ahrar, Al Jumhuriya et du 14-Juillet rivalisaient de guirlandes d'ampoules multicolores, d'arbres en luminaires, de sphères éblouissantes, et le chiffre «1999» se reflétait sur