Khorog (Tadjikistan), envoyé spécial.
Sur le bord de l'étroite route mal goudronnée qui longe le torrent aux bouillons glacés et sous un ciel limpide, Nenufar marche. Pull mohair, robe, escarpins. Elle monte là haut, vers le plus haut jardin botanique du monde, aux portes de Khorog. 28 000 habitants, 2 200 mètres d'altitude, Khorog est la «capitale» de la région autonome du Gorno-Badakhchan, au sud-est du Tadjikistan, plus connue sous le nom de sa colonne vertébrale, le Pamir. C'est dans ce jardin extraordinaire mais décati faute de moyens (les vieilles pancartes indiquant l'espèce ont des allures de plaque funéraire) que Nenufar habite, chez son père, recteur de l'université, dans un immeuble ex-soviétique construit sur le site. Comme tous les jours, elle fait huit kilomètres à pied aller, et autant retour, pour aller suivre des cours de philologie et d'histoire à l'université de Khorog, dont les professeurs ne sont pas payés depuis des mois (refrain commun à toute la CEI, Communauté des Etats indépendants), mais viennent tout de même. Et elle le fait avec un souci d'élégance qui rappelle ces femmes de Sarajevo pendant le siège, sortant, impeccables, maquillées, pour aller chercher de l'eau au péril de leur vie. «Marcher, c'est bon pour la santé», dit Nenufar. Son père avait une voiture, il n'en a plus, alors lui aussi va à l'université, qu'il dirige, à pied. C'est bon pour la santé.
Nenufar a un rêve, devenir journaliste mais pas dans la médiocre feuille de chou locale