Historienne spécialisée sur le Rwanda, Alison Desforges a quitté sa
chaire à l'université de New York en 1994, au moment du génocide au «Pays des mille collines», pour se consacrer pleinement à son rôle de consultante auprès de Human Rights Watch, une ONG américaine pour la défense des droits de l'homme. Fruit de quatre années d'enquête, menée conjointement avec la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), le rapport de plus de 900 pages qu'elle vient de rédiger est publié sous le titre Aucun témoin ne doit survivre, aux éditions Karthala (Libération du 31 mars). Ce travail, à ce jour le plus exhaustif, corrige sur plusieurs points importants la perception de l'oeuvre exterminatrice au Rwanda dont plus de 500 000 Tutsis ont été victimes.
Le génocide a souvent été décrit comme un embrasement, un feu de brousse qui aurait rapidement gagné tout le Rwanda. Vos recherches contredisent cette impression.
Totalement. Il y a eu un noyau de convaincus, les organisateurs du génocide, qui travaillaient depuis un an à la préparation de l'extermination de la minorité tutsie. Mais ils n'étaient pas très nombreux. Il y a eu, ensuite, un cercle beaucoup plus élargi de gens qui étaient réceptifs à l'idéologie du Hutu Power, c'est-à-dire de la suprématie hutue qu'il fallait défendre face au FPR (le Front patriotique rwandais, l'opposition armée tutsie au régime Habyarimana, ndlr). Au départ, ces gens n'étaient pas prêts à agir, à tuer. Enfin, il y a eu un troisième groupe