Kukës envoyée spéciale
Ses semelles compensées s'enfoncent dans la poussière. Serrée dans un blouson de cuir, Saïda Mustafa traverse la fumée des ordures qui brûlent au bas des immeubles. Les hommes ne la quittent pas du regard. Au Kosovo, elle était l'une des «soeurs Mustafa». Ses chansons étaient régulièrement diffusées sur Radio Kukës. Le duo réunissait Albanais de part et d'autre de la frontière, dans la commune nostalgie d'une mère patrie mythique, d'une nation libre et unie. En ces temps de guerre, un crime assimilable à la lutte armée. Quand une balle a frappé le berceau du bébé, sa soeur a quitté le Kosovo pour l'Italie. Saïda a passé la frontière en voiture et elle est restée bloquée à Kukës, au nord de l'Albanie, sans passeport.
Mariage arrangé. Elle entre dans l'une de ces HLM déglinguées, coiffées d'antenne paraboliques, et tout le monde la dévisage. Au quatrième étage, elle se déchausse sur le palier, ses chaussures à la mode au milieu d'une trentaine de paires plus ou moins crottées. Les 25 membres de sa famille s'entassent avec la famille de Kemal l'Albanais 9 personnes dans quatre petites pièces. Quand on lui demande combien les Kosovars le paient pour échapper aux camps de réfugiés, Kemal répond par un proverbe, «le coeur a plus de valeur que le pain et le sel.»
Les Albanais ont ouvert leurs portes aux réfugiés comme jamais ne l'aurait fait un pays de l'Europe de l'Ouest. Plus de 450 000 Kosovars ont été accueillis dans l'un des pays les plus pauvres de la