Prizren, envoyé spécial.
Le dos rond, la tête rentrée dans les épaules, Ana salue le nouveau client de son salon de coiffure d'un petit signe discret. L'habitude. «Pendant dix ans, avant de parler à un inconnu, on attendait de savoir quel langue était la sienne. Serbe ou Albanais?» Hier, par colonnes de voitures et de blindés, la plupart des Serbes ont quitté Prizren. L'Otan plante ses drapeaux et ses chars à chaque carrefour. «Aujourd'hui, nous devrions parler avec les mots que nous voulons. Mais nous avons plus de crainte que jamais. Il n'y a que l'Occident pour croire que la guerre est finie. Nous, nous savons que le grand massacre est à venir.» A Prizren, dans les Balkans, les rumeurs bouillonnent dans les rues et une terreur plus palpable que jamais était encore hier la vraie reine de la ville. «Après toutes ces années, la peur fait maintenant partie de nous comme le foie ou le coeur. On ne peut plus nous l'enlever», reprend Ana.
Neuf jours à vivre. Tous les jours, Arben compte sur ses doigts, remontant le compte à rebours qui fixe au 21 juin le départ de toutes les forces serbes au Kosovo. Il n'a que faire du temps qui reste aux «autres», comme il dit. Ce sont ses jours à lui qu'il compte. Plus que dix à vivre, plus que neuf. Arben, ingénieur, est «profondément convaincu que les Serbes vont finir de vider le Kosovo avant de devoir le quitter eux-mêmes à cause de l'ultimatum». Toute objection le fait finement sourire. «Nul ne connaît aussi bien quelqu'un que l'esclave c