Prizren, envoyée spéciale.
Cela s'est fait tout seul, comme ces choses tellement évidentes qu'elles ne souffrent d'aucune explication. En une nuit, l'ancienne caserne de l'armée yougoslave, bâtiment honni de tout les Albanais de Prizren, est devenue le centre nerveux de la ville, indéfini mais tout puissant, quelque part entre le lieu de culte et le bureau des pleurs. C'est l'état-major de l'UCK. Le long des grilles s'accrochent les hommages populaires, bouquets enrubannés, faveurs en dentelles, drapeaux ornés comme des ex-voto. Juste derrière, commence la ruée des habitants. L'un veut un travail, parce que «les Serbes avaient volé le sien». L'autre attend un «diplôme de héros, si possible avec photo», pour un frère mort au combat, en uniforme de l'UCK. Derrière, on demande une tente parce que «la maison a brûlé». «Faut-il un laissez-passer pour aller chercher sa famille réfugiée en Albanie?» «Doit-on fixer un prix pour le pain?»" Bluff. Même les trois lettres «UCK» sont devenues une formule magique. Dans la ville, où plus personne ne veut utiliser la monnaie yougoslave, les commerçants ne parlent plus qu'en deutschemarks ou en dollars. «Mais vous n'avez pas le droit», proteste une cliente albanaise. Alors, le sourire large comme un coup de poker, le commerçant lâche les trois lettres: «UCK.» Puis pousse le bluff jusqu'à préciser: «Ordre spécial.» Fervente de l'UCK, une institutrice reste perplexe devant la situation. «Nos combattants sont incontestablement les nouveaux ma