Belfast, envoyé spécial.
Le livre, noir et sombre comme une tombe, s'empile dans les librairies de Belfast. Un titre rouge, Lost Lives («Vies perdues») (1), barre ce volume qui raconte les histoires des hommes, femmes et enfants qui sont morts pendant les «troubles d'Irlande du Nord». Rédigé par une équipe mêlant catholiques et protestants, Lost Lives est paru au moment où l'Irlande du Nord s'essaie à la paix. «Ce livre dit l'histoire de l'Irlande du Nord comme elle n'a jamais été dite, il ne s'intéresse pas aux affrontements politiques, mais aux vies de ceux qui ont souffert», expliquent les auteurs de cet inventaire de toutes les victimes d'une guerre civile qui jamais n'a dit son nom.
Anonymat statistique. Ses auteurs, les journalistes David McKittrick du quotidien l'Independent, Seamus Kelters, de la BBC, Chris Thornton, du Belfast Telegraph, et l'universitaire Brian Feeney sortent les 3637 morts d'Irlande du Nord de leur anonymat statistique. Le livre ne porte aucun jugement et parle de toutes les victimes, soldats britanniques comme volontaires de l'Irish Republican Army, civils innocents comme tueurs paramilitaires.
La première victime de la longue série des morts de la province divisée s'appelle John Patrick Scullion. Il est mort le 11 Juin 1966. Comme pour toutes les notices de ce gros livre de plus de 1600 pages, les auteurs rappellent sa fiche d'identité: «West Belfast, civil, catholique, célibataire, employé, 28 ans.» Il a été tué vers 23 heures alors qu'il sortait