Thiès, envoyée spéciale.
A certains endroits, le mur s'est écroulé, et c'est un autre monde qui surgit, étrangement silencieux après l'animation du marché. Des wagons marqués au sigle de la Société des phosphates stationnent devant une gare à l'architecture coloniale. Derrière une grille de fer forgé et de grands arbres enracinés dans le sable, des entrepôts de briques et les villas de la cité ouvrière, trop vastes pour si peu de «bouts de bois». C'est ainsi qu'on nomme ici ceux qu'on veut protéger des vicissitudes de la vie. C'est aussi le titre d'un beau livre de l'écrivain-cinéaste Sembene Ousmane, récit romancé de la grande grève de 1946, lorsque les «bouts de bois» du chemin de fer Paris-Bamako s'unirent pour que l'on respecte leur dignité d'hommes et d'ouvriers.
Tradition de lutte. «La construction du mur a dû remplir les poches d'un entrepreneur. Mais depuis qu'on n'a plus vue sur les rails, c'est comme si on nous avait amputés.» Fils de cheminot, Babacar fut cheminot lui-même avant d'être licencié en 1993, après une énième compression d'effectifs. «Autrefois, quand les vieux partaient en retraite, tu prenais ton jeton et tu avais du travail.» Le salaire était maigre mais régulier. Et puis la vie avait un sens, forgé par une histoire où se mêlaient rêve industriel et luttes sociales. Les grèves de 1936, 1946 et 1977 ont donné à Thiès la réputation d'une ville frondeuse. Ici, on considère qu'«un véritable opposant est celui qui a fait de la prison». Le Parti démocratiq