Santo Domingo, envoyé spécial.
Enrique Jean-Sanon n'a rien entendu venir. Trop concentré à trancher la canne à sucre d'un éclair de machette, un coup à se mutiler le poignet qui écarte la tige. Sans compter la sueur qui coule dans les yeux, le soleil qui abrutit. Un travail de sourd. Enrique n'a rien entendu. Les soldats ne lui ont d'ailleurs rien dit. Il a compris en les apercevant, il les a suivis sans protester. On l'a fait monter dans un camion, avec quelques autres braceros (1). Tous «nègres», tous présumés Haïtiens. On les a regroupés avec d'autres encore dans une caserne près de Santo Domingo. Et le lendemain, à quatre heures d'autobus de la capitale, Enrique et ses compagnons se sont retrouvés de l'autre côté de la frontière, parqués dans un corral grillagé en attendant que l'administration haïtienne veuille bien accuser réception des indésirables.
Depuis quelques mois, la République dominicaine fait le ménage chez elle, elle expulse massivement des immigrants présumés illégaux. Deux mille par mois au minimum. Parfois cinq fois plus. Forcément Haïtiens: il n'y a pas d'autres voisins sur cette île de Saint-Domingue où l'Histoire force à coexister, depuis deux siècles, les Dominicains des Blancs et des métis, descendants des colons espagnols et les Haïtiens, fils des esclaves africains naguère victorieux de leurs maîtres français. Des Noirs. Alejandro Delgado, agent de voyage à Santo-Domingo, dément qu'il y ait du racisme derrière tout cela: «On ne peut plus assumer