Masiaka, envoyé spécial.
Avec son jean et son T-shirt orange fluo des Lakers de Los Angeles, Frank Bassie, 33 ans, a l'air banal. Du moins à côté de ses frères d'armes qui, pas plus que lui, ne portent l'uniforme mais s'affublent, au hasard, d'un crucifix pectoral, d'un gilet gonflable ou de lunettes de soudeur. Leurs torses nus sont comme guillochés, à force d'être incisés pour assimiler, directement dans le sang, toutes sortes de «poudres d'ange», des drogues ou des médicaments. «C'est pour les bushkids, (enfants de la brousse, ndlr) qui manquent de courage et de cerveau», commente Frank Bassie. Fier d'être un «régulier», il sort de sa poche une carte plastifiée l'identifiant comme membre de la Force de défense civile. Comme son nom ne l'indique pas, c'est la vraie armée gouvernementale, les Forces armées sierra-léonaises s'étant trop souvent compromises dans des putschs pour que le président Ahmad Tejan Kabbah leur fasse encore confiance.
Fosse commune. Frank Bassie s'est spécialisé dans la visite guidée de Masiaka, la ville carrefour à 70 km de Freetown, conquise il y a dix jours, puis deux fois perdue mais, chaque fois, reprise aux rebelles du Front révolutionnaire uni (RUF). Gros bourg, qui comptait naguère près de 10 000 habitants, Masiaka présente ses rares bâtiments en dur en ruines, ses cases pillées. La population s'est enfuie. Autour du rond-point «stratégique», d'où partent deux axes routiers, l'un vers l'est, l'autre vers le nord, habits et casseroles éparpillés