Kigali envoyé spécial
Pendant les cent interminables jours du génocide, en 1994, Jean-Marie-Vianney, tutsi, s'est caché dans un trou immonde. Nourri par des voisins, il n'est sorti, hébété, des latrines qui lui ont sauvé la vie que lorsque les massacres ont pris fin. Mais six ans plus tard, lorsqu'il roule dans Kigali, Jean-Marie-Vianney glisse dans son autoradio une étrange cassette. Sur la bande magnétique défilent, grésillants d'avoir été trop écoutés, des programmes de la RTLM, la «Radio mille collines» qui émettait en 1994 à seule fin d'encourager le génocide. Scandés rageusement ou susurrés, les mots en kinyarwanda des animateurs disent tous la même chose atroce : ils appellent au meurtre des Tutsis et de leurs «complices». Ces mots, Jean-Marie-Vianney les écoute machinalement, sans hargne particulière, apparemment jamais lassé de ce curieux exercice de mémoire : «Beaucoup de rescapés, comme moi, écoutent ces émissions que nous entendions pendant le génocide, dans les endroits où nous nous cachions. Cela nous fait un drôle d'effet, mais c'est une façon de se rappeler le passé.» Embarrassé, il retire la cassette de l'appareil : «En fait, nous sommes seuls à pouvoir comprendre...»
Les années passent, mais plus que jamais dans le Rwanda de l'après-génocide les rescapés ont ce mot à la bouche : «seuls». D'où vient qu'ils se sentent de moins en moins d'affinités avec l'ensemble des autres communautés rwandaises ? Avec les Hutus, les rescapés estiment que les comptes de 1994 n