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Libération
Enquête

Des vies de revenants

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publié le 5 octobre 2000 à 5h04

A la prison centrale de Kénitra, le mardi 7 août 1973 à 2 h du matin, des cris et des coups de pied dans les portes de leurs cellules réveillent en sursaut les condamnés des deux putschs qui, coup sur coup, ont manqué de décapiter le royaume: en 1971, celui des «fantassins» ayant fait une sanglante irruption lors de la garden-party d'anniversaire du roi et, en 1972, celui des «aviateurs» qui ont tenté d'abattre le Boeing de Hassan II rentrant d'une visite en France. Bruits de serrure, néons qui s'allument. «Sortez tous! N'emportez rien!» Ainsi commence le voyage à Tazmamart, le bagne secret du Moyen Atlas, construit pour la circonstance. Cinquante-huit conjurés, tous ceux ayant été condamnés à plus de deux ans de réclusion, sont embarqués dans des camions, menottés, les yeux bandés. Vingt-huit d'entre eux n'en reviendront que dix-huit ans plus tard. Trente autres s'éteindront dans le noir total des cellules bétonnées. Enterrés sans prière, couverts de chaux vive, leurs corps restent à ce jour prisonniers d'une lointaine terre aride.

En 1973, au moment de la déportation, un ancien sous-officier de l'armée française, le lieutenant Fadoul, et le chef régional de la gendarmerie, le commandant Hamid Laânigri, surveillent l'opération. Pendant dix-huit ans, le premier servira d'agent de liaison entre le palais et le bagne, où il se rendra à plusieurs reprises en hélicoptère. Le second a été un camarade de promotion de l'aspirant Mohammed Raïss, l'un des fantassins embarqués sous ses