Abidjan envoyé spécial
Les frères Sam n'ont «pas de place» pour les larmes. Ils aimeraient pleurer leurs morts. Mais quels morts? Il y a les morts toujours pas identifiés, et ceux du charnier de Yopougon (57 cadavres). Il y a désormais les morts qui disparaissent... Idriss et Boubakar Sam recherchent en vain le corps de leur petit frère et de leur cousin. Identifiés samedi dans une morgue, ils se sont «volatilisés». Depuis jeudi dernier, jour de rafles et tueries de Dioulas (musulmans du Nord), les deux frères d'Abobo-derrière-Rails (un quartier très pauvre au nord de la capitale) sillonnent la ville. Les bois, les morgues. Avec une question: «Pourquoi?» Et un souhait: Qu'"ils" nous rendent les corps. Qu'on les enterre dignement parce ce que «leur seul crime, c'était d'être Dioula».
Jeudi 26 octobre, 13h20. Le général Gueï est en fuite. Les manifestations des ouattaristes, frustrés d'avoir été éliminés de la présidentielle que vient de remporter Laurent Gbagbo dégénèrent. Quatre gendarmes et un policier investissent la cour des Sam. Tidiane, 19 ans, est alité, tenaillé par un paludisme. Son cousin, Abdoulaye Traoré, 22 ans, est à ses côtés. On contrôle les papiers. «Encore des Dioulas, embarquez-moi ça, on va en finir, c'est le moment où jamais», se souvient sa soeur, qui est bastonnée. «Une jeep les a embarqués, avec un autre môme à l'intérieur, dit Boubakar. On a couru après. Un fusil nous a pointés: "Si vous voulez mourir, avancez!" On a relevé l'immatriculation: 210979