Toutes les nuits, il sillonne Belgrade au volant de son taxi, une vieille Mercedes diesel aux sièges défoncés, achetée quelques milliers de marks l'an dernier à son départ de l'armée. Dusan ne peut plus dormir. Athlétique, chaleureux et charmeur, le jeune homme s'est marié et a deux enfants: «J'ai tout fait pour redevenir normal.» Sans succès. La nuit surtout, des images ressurgissent, les réminiscences de ses cinq ans de guerre, la Croatie d'abord, puis la Bosnie et enfin le Kosovo. «Milosevic m'a détruit l'âme», soupire cet ancien sous-officier d'une batterie de missiles, qui, avec sa brigade, fut décoré par l'ex-président yougoslave en juin 1999. «On baissait tous les yeux: pourquoi avoir finalement capitulé après 78 jours de bombardements de l'Otan. On était sonnés et on se sentait trahis», ajoute Dusan, qui fut parmi les premiers à pénétrer dans le Parlement fédéral le 5 octobre. Maintenant, il demande des comptes et serait même prêt à témoigner contre Milosevic dans un procès à Belgrade. Quand on évoque ses propres responsabilités, il répond avec un sourire gêné: «On voyait les paramilitaires et nous savions qu'ils tuaient des civils dans les villages mais nous, nous étions des soldats et nous combattions.» Dusan veut encore croire que l'armée «est restée relativement propre», mais il n'en est plus vraiment sûr. Comme lui, beaucoup commencent à réfléchir sur les horreurs qu'ils devinaient confusément depuis des années sans vouloir les regarder en face.
«Nous avons la plus forte concentration de criminels de guerre en Europe»
Vendeuse dans une