Srebrenica envoyée spéciale
C'est là exactement qu'elle est descendue du camion, juste «en face de cette usine toute démolie». C'était en mars 1996. Avec des dizaines de milliers d'autres, Gordana fuyait Vogosca, quartier serbe de Sarajevo, que les accords de Dayton venaient de sacrer capitale de Bosnie-Herzégovine après cinq ans de guerre. «Pendant tout le trajet, l'un de nos leaders du SDS (le parti nationaliste serbe de Bosnie fondé par Radovan Karadzic, ndlr) nous a rassurés: tout le monde aura un travail, une maison et surtout nous serons enfin avec les nôtres, le peuple serbe. Vous aurez l'honneur d'habiter le lieu de l'une de nos grandes victoires.» Le camion s'est arrêté à l'entrée d'un gros bourg détruit, au milieu de montagnes. Gordana a cherché à boire. «On m'a dit: "Ici, il n'y a pas l'eau courante." J'ai demandé quand on repartait.» Le chauffeur s'est mis à rire. «On est arrivé, c'est Srebrenica.»
Là, exactement au même endroit, à peine quelques mois plus tôt, presque toute la population de la ville était rassemblée. Proclamée «zone de sécurité protégée par l'ONU», Srebrenica était alors une enclave musulmane dans une région majoritairement serbe. Sous les yeux des Casques bleus, les soldats de l'armée serbe bosniaque ont trié, les femmes d'un côté, les hommes de l'autre. Il y eut entre 7 000 et 10 000 morts, tous musulmans; plus de 20 000 personnes contraintes à l'exil. Ce massacre sans précédent provoqua un tel choc dans l'opinion internationale qu'il enclencha