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Kofi Annan, porter ONU

Kofi Annan, 62 ans, Ghanéen. Le secrétaire général de l'ONU tente de compenser son peu de pouvoir par une autorité morale.
Kofi Annan en décembre 2000. (Photo AFP)
publié le 9 janvier 2001 à 21h38
(mis à jour le 18 août 2018 à 12h56)

En janvier 2001, quelques mois avant qu'il soit reconduit pour un 2e mandat à la tête de l'ONU puis qu'il reçoive le prix Nobel de la paix, Libération dressait le portrait de Kofi Annan, décédé ce samedi à l'âge de 80 ans.

C'est au début de sa tournée africaine, en Sierra Leone, que Kofi Annan s'est réincarné en un vaillant guerrier du XIXe siècle. En boubou blanc, le patron des Nations unies s'est glissé sous une tente où l'attendaient les représentants des chefferies. Là, on l'a coiffé d'un chapeau qui donna subitement un air de lutin au secrétaire général de l'ONU. C'est ainsi que Kofi Annan devint «grand chef coutumier», avec pour nouvelle identité celle de «Bai Boureh Kabilai II».

En une réincarnation, Kofi Annan avait plongé dans le drame de la Sierra Leone et de l'Afrique. La guerre, les 500 Casques bleus pris en otages en mai, le désespoir de la population. L'hommage rendu tenait de l'appel au secours lancé à un frère africain. Ce n'était pas une surprise. Son déplacement visait à regonfler le moral des Casques bleus et celui d'une population exténuée: «Bai Boureh Kabilai était l'un des premiers chefs africains à se battre pour ses droits. Il est revenu symboliquement aujourd'hui. Je sais que vous avez enduré de terribles souffrances. Je suis venu vous dire que la communauté internationale vous a entendus et qu'elle vient à votre aide.»

Avec ses racines africaines, son éducation britannique, son père haut-cadre dans une entreprise anglaise, sa femme suédoise et sa vie américaine, Annan porte la volonté du consensus comme une nécessité intérieure. De cette richesse culturelle, il a fait un atout pour passer au travers du tamis de l'institution, au point de devenir le premier secrétaire général «made in Onusie». Sa méthode de négociation va de pair avec une personnalité faite de douceur attentive, de politesse teintée d'humour et de distance aristocratique. «Il a une infinie tendresse pour le peu que nous sommes», dit Jean-Marie Guéhenno, responsable des opérations de maintien de la paix de l'ONU, citant Marguerite Yourcenar. Cette retenue se retrouve jusque dans son langage corporel minimaliste. Au point qu'une collaboratrice lui a un jour lancé: «Don't be so British!» (Ne soyez pas si britannique !). Sa courtoisie accablante est à usage multiple: bouclier de protection, elle lui permet aussi d'enrober ses interlocuteurs, désarçonnés par cette approche peu conflictuelle.

Mais cette énergie opère davantage en petit comité. A Cotonou, Kofi Annan et Boutros Boutros-Ghali se sont retrouvés sur le même podium. L'actuel et l'ancien patron des Nations unies. D'une voix tranchante, Boutros-Ghali joue comme un vieux renard avec les sentiments de son auditoire. Il flatte le nationalisme béninois et rassure les élites africaines sur la nécessité que «chacun trouve sa propre voie vers la démocratie». Annan, lui, parle pluripartisme et presse libre. Pour décourager les gouvernements autoritaires, il rappelle un proverbe de sa tribu, les Akan: «Etii baaku enko edjina!» (Une tête seule ne peut décider toute seule). Habileté de tacticien: s'appuyer sur la tradition pour éviter l'accusation d'être le porteur d'eau des valeurs occidentales. Mais son mince filet de voix finit couvert par le bruit de la foule.

«C'est un humaniste pragmatique marqué par la lutte pour l'autodétermination des peuples et le tiers-mondisme, mais libre de tout bagage idéologique qui encombra la génération qui accéda à l'indépendance», note son directeur de la communication. Annan sait qu'il incarne l'espoir d'une Afrique saignée par les guerres et le sida, capable de concilier tradition et modernité, le port altier du boubou et le costume de responsable de la première organisation internationale. Bref, une globalisation dont l'Afrique ne serait plus l'éternelle perdante.

Sans doute mesure-t-il l'étroitesse de sa marge de manoeuvre, qui tient en une fragile autorité morale. Il doit son élection comme secrétaire général au soutien des Etats-Unis. Washington voulait davantage «un secrétaire qu'un général de l'ONU». A l'évidence, le Ghanéen a le sens des limites. «Trop timoré!», tranchent ses critiques. De quoi agacer ses proches, qui donnent pour preuve de caractère le voyage qu'il fit en 1998 à Bagdad auprès de Saddam Hussein, en dépit des mises en garde que lui adressa Madeleine Albright, chef de la diplomatie américaine. Celle-ci ne lui en a pas tenu rigueur. Annan a le don de se faire accepter, mais convainc-t-il pour autant? Au Bénin, il s'est livré à une critique à peine voilée de la classe politique africaine : «On croit souvent en Afrique que la démocratie, ce sont les élections. C'est plus que cela. D'abord, l'Etat de droit, le respect des minorités, l'éducation et la santé, c'est surtout une classe politique loyale envers sa population...»

Dans le boudoir de l'Airbus, véritable caverne volante d'Ali Baba mise à sa disposition par l'émir du Koweït pour ce voyage, Kofi Annan met l'accent sur les valeurs morales: «Mon père était sévère. Il m'a enseigné ce qui était juste et ce qui ne l'était pas. Je crois fermement dans les droits de l'individu, dans la dignité de l'être humain. Je crois qu'il faut aider les gouvernements à ne plus définir leurs intérêts nationaux en termes égoïstes.» Annan le moraliste? Dans presque tous ses discours, il souligne le poids de la responsabilité individuelle. Est-ce l'héritage de la tradition? La marque de son éducation anglo-saxonne et protestante? Pour son assistante, «il a une philosophie morale à la Camus».

Ce moraliste qui s'est lancé comme défi de faire reculer la barbarie est-il resté marqué par Srebrenica et par le Rwanda où il était en première ligne, chargé des «opérations de maintien de la paix»? A-t-il pensé à claquer la porte des Nations unies, lui qui, enfant, avait organisé une grève dans son école pour dénoncer la mauvaise qualité de la nourriture? De son possible écartèlement entre morale et politique, Kofi Annan ne souffle mot. Pourtant, l'ombre du diplomate suédois Raoul Wallenberg, l'oncle de sa femme disparu mystérieusement en 1944 après avoir sauvé des milliers de juifs, plane toujours sur le couple Annan. «Je n'ai jamais eu peur de démissionner, explique-t-il. Dans ma carrière, je l'ai fait à trois reprises. L'essentiel, ici à l'ONU, était de faire en sorte que de telles tragédies ne se renouvellent plus. Etait-ce en jetant l'éponge? Ou en luttant pour apprendre de nos erreurs? C'est ce dernier choix que j'ai fait.» Il a été l'homme en 1999 du mea-culpa de l'ONU sur le génocide du Rwanda et le massacre de Srebrenica. En endossant les fautes et la passivité de la communauté internationale, il espérait inciter les Etats à prendre enfin leurs responsabilités. Au risque de finir en Sisyphe africain.

Kofi Annan en 7 dates

8 avril 1938: Naissance à Kumasi, au Ghana.

1961: Licence en économie de Macalester College, aux

Etats-Unis.

1962: Débuts aux Nations unies comme cadre moyen.

1972: Maîtrise en gestion du Massachusetts Institute of Technology.

1990: L'ONU le charge de libérer les otages occidentaux retenus en Irak.

1994-1996: Chargé des opérations de maintien de la paix.

1997: Devient secrétaire général de l'ONU.