Lorsque ce géant, rieur et décontracté, est entré, la salle s'est soulevée dans une interminable ovation. Pas un instant pourtant, Ahmed Marzouki, chaviré par l'hommage de ses compatriotes vivant à Paris, n'y a vu le tribut à un héros. Simplement «la reconnaissance, peut-être, d'une sincérité». Cette chaleur, qui s'exprime partout aussi au Maroc, étonne ce pudique qui ne sait pas dire «je» et garde une naïveté presque enfantine, lui qui n'a pas eu de jeunesse. Car à 54 ans, débordant de vitalité, celui qui s'émerveille d'être à Paris est un revenant. Il y a dix ans encore, crasseux, barbu et squelettique, il ressemblait à ces fantômes errants dans des grottes préhistoriques.
Comme cinquante-sept autres conjurés, cet ex-sous-lieutenant des Forces armées royales devait mourir. Mais à petit feu, dans le noir et l'isolement d'oubliettes moyenâgeuses nommées Tazmamart. Une mort pour l'exemple. Pour signifier que nul ne peut échapper à la colère du roi qui aura été à la mesure de la «faute»: deux tentatives de régicide en 1971 et 1972 alors que ces damnés ne savaient souvent même pas qu'ils allaient participer à un putsch contre Hassan II.
La vengeance du monarque durera dix-huit ans. 6 650 jours dans une cellule de béton de 6 m2, 17 orifices minuscules dans le mur pour ne pas étouffer, un «trou d'évacuation» à même le sol «pour nos besoins», coupant avec les dents des ongles qui devenaient griffes. Envahis d'insectes qui transformaient le corps en plaie. Trente d'entre eux reposent