Jedwabne envoyée spéciale
Jour et nuit, des policiers surveillent un petit champ de blé sur une colline en lisière de Jedwabne, un village de près de 2 000 habitants dans l'est de la Pologne. A l'intérieur du terrain, entouré par un fil de plastique avec l'inscription police, une excavatrice nivelle la terre, des ouvriers défrichent l'ancien cimetière juif, abandonné depuis la guerre, et creusent les fondations pour le nouveau monument qui commémorera le pogrom du 10 juillet 1941. L'endroit le plus élevé de la butte, où se trouve la fosse commune, a été isolé par une grille. Derrière, en présence d'un rabbin, on exhume les corps des victimes depuis jeudi dernier. Le temps presse : tout doit être achevé d'ici les cérémonies du 60e anniversaire des événements, durant lesquelles le président Aleksander Kwasniewski, au nom de l'Etat polonais, va demander pardon pour le crime. «A quoi bon fouiller ici, allez d'abord exhumer les corps des milliers de Polonais que les communistes juifs ont envoyé mourir en Sibérie», lance un agriculteur, visiblement agacé par la présence des ouvriers et des journalistes. Comme la majorité des habitants de Jedwabne, il ne veut pas parler du massacre: «On n'est pour rien dans cette histoire, on est nés après la guerre».
Mémoire des victimes. Personne en Pologne n'avait entendu parler de cette petite bourgade jusqu'à la parution, l'an dernier, du livre (1) de l'historien américain d'origine juive polonaise Jan Gross, émigré aux Etats-Unis après 1968. Se