Il était là, plaisantant dans un café à Paris, il y a quelques mois. Sûr de lui, tranquille. Leur tortionnaire. A la table à côté, Imen Derouiche et Nourredine ben Ticha, réfugiés en France après avoir été torturés et condamnés à Tunis en 1998 pour leur engagement dans un syndicat étudiant, sont muets, horrifiés. Avec quatre autres Tunisiens, ils viennent de déposer plainte en France pour torture contre plus de 40 fonctionnaires tunisiens. Après l'appel d'air du cas Pinochet, cette procédure pourrait créer une nouvelle brèche contre l'impunité.
Dans ces dossiers, fondés notamment sur la Convention internationale contre la torture de 1984, la justice oscille entre deux pôles. D'un côté, l'exemple belge, dont les tribunaux ont «compétence universelle», quel que soit le lieu où se trouve le suspect. De l'autre, les Etats-Unis où les victimes n'ont pas le droit de déclencher une procédure pour un crime «international». Entre ce tout et ce rien, la France fonctionne sur la compétence territoriale, c'est-à-dire la présence sur le sol du tortionnaire supposé. «Pour que l'enquête démarre, il incombait jusqu'à présent aux victimes de se faire la sentinelle de leurs bourreaux et actionner la justice dès que ceux-ci mettaient le pied en France, explique l'avocat William Bourdon, chargé du dossier. Or les Etats sont dans l'obligation de poursuivre le crime de torture: il est donc suffisant que les plaignants fassent état de la probabilité d'une présence pour lancer les investigations. C'