Menu
Libération

La bête à Goncourt

Article réservé aux abonnés
par Jean-Christophe Rufin
publié le 17 novembre 2001 à 1h39

Samedi

Athlète de chapiteau

Patrick Rambaud me l'a dit en me mettant la main sur l'épaule : «Tant pis pour toi : tu en as pris pour dix-huit mois.» Dix-huit mois d'interviews, de tournées, de signatures. Le prix Goncourt n'est pas une récompense ; c'est un emploi à plein temps. En CDD, certes, mais ce n'est pas moins dur pour autant.

N'allez pas croire que je me plaigne : je suis ravi. Je me demande seulement comment ont fait les autres. C'est que l'affaire est athlétique. Quand je vois Rambaud tout fluet, Orsenna qui n'est pas très costaud non plus, Echenoz souple et léger, je ne comprends pas comment ils ont résisté. Le jury doit le savoir et, dans sa grande sagesse, il a épargné cette épreuve à Robbe-Grillet.

Avec ma grande carcasse et mon air de santé, j'ai été jugé apte. Un peu vite peut-être. La semaine dernière, j'ai cru y laisser la peau. Et aujourd'hui, arrivé à Toulon via Nice, j'ai été capturé comme une bête sinon sauvage du moins curieuse et emmené sous un chapiteau (la Foire du livre). Attaché à ma chaise pendant quatre heures et demie montre en main, j'ai enchaîné les dédicaces. Cela me rappelle un peu les ordonnances, sauf qu'en médecine on a le temps d'examiner ceux qui viennent vous voir. Ici à peine. Pourtant, c'est plus fort que moi, j'engage la conversation. Je suis curieux et j'attire les confidences. Malheur à ceux qui s'y laissent prendre : les autres grognent, s'impatientent, les poussent. C'est que, pour quelques-uns qui