Lurgan envoyé spécial
Deux femmes endeuillées, réunies dans un salon, parlent de leur soeur disparue. Au détour d'une phrase, l'une d'elles signale qu'un catholique a été tué dans la nuit par un soldat permissionnaire à l'autre bout de la province. Bernie McQuillan donne des détails, indique le nom du régiment du meurtrier, puis s'interrompt, cherche du regard sa voisine, tassée dans un fauteuil, et lâche sur le ton de l'étonnement: «Avant le meurtre de Rosemary, on n'aurait jamais su tout ça!»
«Avant», cette famille aisée sans être riche, dépolitisée sans être indifférente, se tenait à l'écart des «troubles», cet euphémisme qui sert à désigner trente ans de tueries. Institutrice, Bernie McQuillan habite une zone résidentielle, à la périphérie de Lurgan. Un îlot autrefois paisible, loin des attentats qui constituent l'ordinaire d'une partie de l'Irlande du Nord.
Le conflit a rattrapé les deux femmes, le 15 mars 1999 au matin, lorsque leur soeur Rosemary Nelson a été assassinée en sortant de chez elle. Déchiquetée par une bombe placée à l'intérieur de sa voiture. Elle avait 40 ans. L'explosion s'est produite devant l'école primaire Tannaghmore où se trouvait sa fille et où Bernie McQuillan enseigne toujours.
Inclassable. Ce crime de trop, dans une guerre qui semblait toucher à sa fin, hante jusqu'à maintenant la province. Pas seulement à cause du fait qu'il est resté impuni, comme tant d'autres, mais en raison de la personnalité très particulière de la victime et des soupçons qui