Dublin envoyé spécial
A12 ans, il a volé dans les cuisines deux tomates et un oignon. Il avait faim. Les frères l'ont attrapé. La suite, il n'arrive pas à la raconter. Il met ses lunettes et sort un vieux dossier. «Ils m'ont battu avec ça!» Sur la photo, se détache une lanière de cuir large comme le pouce. «A chaque fois que j'en parle, je ne peux plus respirer.» Il sort un autre cliché. Une soixantaine d'enfants cravatés qui posent avec leurs prêtres en chasuble. «Nous sommes 14 à vivre encore. La plupart se sont suicidés.»
Maurice Ward est un homme cassé, plein de rage, de rancune et d'effroi. Un corps sec et décharné qui bouillonne de violence et tremble encore des souffrances passées. Il fait partie des milliers d'Irlandais envoyés de force dans des institutions religieuses et qui aujourd'hui réclament réparation. Victime quarante ans plus tôt de sévices physiques, sexuels, mentaux, il accuse une Eglise alors au faîte de sa puissance, féroce avec ses jeunes captifs et d'une incroyable indulgence avec les siens.
Viols et humiliations
En 1956, un juge l'a expédié dans une des nombreuses maisons de redressement que comptait l'île verte. «Il m'a condamné à une peine de six ans et demi, parce que je faisais l'école buissonnière.» Sa mère l'a accompagné au tribunal, puis est repartie sans attendre la sentence. Maurice Ward avait été laissé à lui-même, abandonné par des parents trop pauvres pour subvenir à leur large progéniture. Sur quatorze frères et soeurs, onze ont terminé comm