Menu
Libération
Enquête

Safiya comme une ombre

Article réservé aux abonnés
Paysanne illétrée, Safiya Husseini sait à peine comment lui est venu un enfant adultérin. Dans son village à l'écart de tout, elle espère que la sentence de mort par lapidation sera levée le 18 mars en appel.
publié le 15 mars 2002 à 22h36

Tungar Tudu envoyée spéciale

La femme dont le prénom est connu depuis quelques mois du monde entier, vit dans un village anonyme à un quart d'heure de piste de Tungar Tudu, un bourg de l'Etat de Sokoto traversé par un vent brûlant et d'imposants troupeaux de bétail. Dans ce Nord nigérian qui vécut son âge d'or au temps des caravanes et du califat, la vie se concentre désormais autour du marché et des bâtiments administratifs démesurés. C'est à l'ombre de ces murs que se mesure, dans un déploiement de boubous, le pouvoir séculier et religieux. L'évocation de Safiya Husseini, la première femme adultère condamnée à la lapidation depuis que la Charia a été officialisée, ne suscite ici qu'indifférence ou le récit glorifié de six siècles d'islamisation.

Les hommes sont trop occupés à se disputer les fonctions et la manne qu'offre la juxtaposition de trois lois dans l'Etat de Sokoto, celle de l'Etat fédéral d'Abuja, celle du gouvernement régional et celle d'Allah, la Charia, adoptée il y a deux ans à la grande satisfaction de la majorité de la population. Safiya n'est pas la seule femme de la région à avoir conçu un enfant hors des liens du mariage, mais le châtiment est tombé sur elle. Si la sentence est confirmée lors de son procès en appel le 18 mars, elle sera enterrée jusqu'au cou, puis lapidée à mort.

Dans l'obscurité de la case de terre, une main décharnée agite un chapelet de graines dans l'espoir vain de chasser les enfants moqueurs. Le père de Safiya est aveugle et défend sa