Tout a disparu, Paris, la Seine qu'on voit des fenêtres de la 17e chambre correctionnelle, le ton posé de l'audience. On est en Algérie. Mais pas n'importe laquelle. Dans les villages hagards après les massacres, avec les filles enlevées dans les maquis islamistes, dans les salles de tortures. Alors qu'il tire à sa fin, le procès en diffamation qui oppose le général Khaled Nezzar au sous-lieutenant Habib Souaïdia, pour avoir dénoncé la responsabilité des généraux dans une interview télévisée, s'enfonce chaque jour un peu plus dans le bourbier de la sale guerre.
Mais c'est un long voyage pour arriver à cette Algérie-là. Jeune enseignante dans les années 80, Salima Ghezali, écrivain et journaliste, raconte son premier poste. «En jean, avec des livres de poésie et un engagement dans un club féministe», elle débarque dans ce douar perdu, l'eau qu'on tire des pierres, les sacs de lentilles qu'on cherche comme de l'or, un ailleurs inimaginable à 35 km d'Alger. «C'était vraiment un choc. Parmi mes élèves, il y avait beaucoup d'islamistes déjà, allant du petit bigot à celui qui voulait la justice divine sur terre.» A partir de 1990, le FIS progresse jusqu'à l'annulation des législatives, qu'il s'apprêtait à remporter en janvier 1992. «Le premier mort que j'ai enterré, c'était un de mes élèves, achevé à coups de fourche par les gendarmes. Et puis, un à un, je les ai vus devenir des assassins islamistes, des assassins policiers, des assassins militaires. Le pouvoir a fait ce scénario: