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Libération
Crimes contre l'humanité

Bosnie, pays des fantômes

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Dix ans après les massacres, des milliers de familles bosniaques cherchent encore leurs disparus. Régulièrement, des corps sont exhumés, mais l'identification reste difficile.
publié le 19 novembre 2002 à 1h49

C'est au pied d'une colline verte à peine pentue. Un hameau où les murs en brique et les toits de tuiles ressortent de terre au milieu des ronces et du chiendent. Face à une bâtisse noircie et effondrée, la maison de Jasminka Kadiric se tient aux abords d'un chemin, à Rizvanovici, à six kilomètres de Prijedor. Depuis dix ans, cette petite femme blonde aux yeux bleus vit avec vingt-deux fantômes. Un frère, un mari, des oncles, des cousins, vingt-deux proches portés disparus dont il ne reste dans le meilleur des cas qu'une photo. Et une trace fugace dans un livre blanc liseré de rouge qui dresse la liste lugubre des disparus dans la municipalité de Prijedor. Là, sont couchés les noms de 3 227 personnes (1), leur date de naissance et celle de leur disparition, parfois le lieu. Ce livre ne quitte pas Jasminka. Elle le consulte sans cesse, s'arrête sur un visage et s'oublie dans ses silences. Mais elle ne peut pas refermer le livre. Chez Jasminka, l'indicible attente l'a emporté sur la rage. Le désespoir a fait le reste.

De son salon neuf, elle a deux vues : l'une donne sur la serre de la coopérative agricole Green House, où elle fait pousser fruits et légumes ; l'autre sur un bout de champ en contrebas de sa maison qu'elle ne montre que d'un geste évasif de la main. Sans jeter un regard. C'est là que son père et deux de ses oncles ont été enterrés à la va-vite, le 28 juillet 1992, après une violente offensive. «Ma soeur a trouvé les corps gisant devant la maison, puis les a inhum