Khartoum envoyée spéciale
A Khartoum, la dernière blague en vogue consiste à faire ostensiblement ses ablutions avant d'allumer la télé, «tellement coranisée qu'il faut se purifier comme pour entrer dans une mosquée», pouffe Asma, en réclamant une cigarette. «Au Soudan, les femmes n'ont pas le droit de fumer. On se cache, comme pour tout.» Asma n'a jamais oublié cette nuit sombre de 1989. «Une de mes amies est arrivée en larmes : le gouvernement venait d'annoncer qu'il réappliquait la charia. Tout s'est effondré autour de moi.» Asma avait alors 20 ans. A Khartoum, Omar al-Bechir vient de prendre le pouvoir, guidé par son mentor, Hassan el-Tourabi. Le charismatique idéologue du Parti du Congrès veut faire du Soudan un régime islamiste modèle. Le slogan du parti annonce la couleur : «Jihad, victoire et martyre.»
Certes, la charia n'a pas attendu la junte militaire pour faire son apparition au Soudan. En 1983, sa promulgation par le président Jaafar al-Nimeiry et les spectaculaires châtiments corporels publics avaient relancé le conflit entre le nord et le sud du pays et précipité la chute du régime. Sadeq al-Mahdi, qui devient Premier ministre au terme d'élections démocratiques, ne la fait pas appliquer. Avec Béchir, tout change. Foulard obligatoire, flagellation, application stricte de la loi coranique (même si les amputations restent moins nombreuses que sous Nimeiry) : Asma en frissonne encore. Mais les choses vont mieux depuis la mise à l'écart de l'encombrant Tourabi (mis e