«C'est Ercan, notre fils de 9 ans, qui nous a bassinés pour y aller dès aujourd'hui. Il a tellement de questions.» Mais Altan Esmer est encore plus excité, à l'aube de cet impensable voyage vers sa ville natale de Paphos, à 140 km au sud-ouest de Nicosie. Avec sa femme Kubra et leur fille Sila, ils sont montés dans un des bus mis à la disposition des Chypriotes turcs qui franchissent le check point de Nicosie. Sous les applaudissements des passagers, le chauffeur démarre enfin. Pour ajouter à l'euphorie, il lance une cassette de folklore grec, dont les Turcs reprennent en choeur les refrains. Professeur d'histoire, Altan retourne au 54, rue Atatürk, dont il fut arraché à 13 ans.
«Mon père était un gros négociant, il avait plusieurs magasins et beaucoup de terres.» À l'approche de Paphos, les souvenirs remontent par bouffées. «Tiens, le village de Pissouri ! On s'y arrêtait pour acheter un pain délicieux et des pastèques, puis on allait à la plage.» À la descente du bus, Altan trace sans hésiter son chemin vers le quartier turc de Mouttalos. «L'hôpital où je suis né, le cabinet du pédiatre qui me donnait un bonbon avant de m'ausculter, le stade où j'allais à vélo, le carrefour où je me suis fait renverser... Ah ! le magasin Bata est toujours là. Et la rue Aphrodite, où mon père avait quatre boutiques.» Jusqu'au début des persécutions de la minorité turque. «En 1963, les Grecs ont voulu toute l'île pour eux. Ils nous ont attaqués. Il y a eu 45 morts à Paphos. Toute la communaut