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Libération
Reportage

« Ce qui nous écrase n'a pas de visage»

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La jeunesse algéroise a perdu tout repère politique et religieux.
publié le 3 juillet 2003 à 23h38

Alger envoyée spéciale

Devant la Foire internationale d'Alger, des jeunes hommes, une bonne centaine, s'éventent sous le soleil. «On fait le casting pour le recrutement d'agent de sécurité.» Karim se roule un gros joint. Derrière, ça débat de la vie d'un oncle du prophète. Le joint tourne. «Est-ce que quelqu'un a une touche à la douane ? J'ai un moyen de ramener des jeans en contrebande.» Dans la fumée du shit, l'un demande : «Quel genre de jean ?» Marchandise moyenne, «des trucs du Maroc, pas américains». Petite moue. Le boulot d'agent de sécurité est payé 5 000 dinars (50 euros) les dix jours. Le prix d'une soirée en boîte avec une fille. Le prix d'une paire de baskets «avant-dernier modèle». Le salaire mensuel d'une femme de ménage. «Qu'est-ce que ça veut dire l'argent ici ? Dans ce boulot, ce n'est pas le salaire qui nous intéresse mais piquer dans les stands de la foire.» Rafler. Piller. Se servir. «Arracher un morceau, le plus gros possible, avant que le pays disparaisse.» La dernière carambouille des enfants du régime a siphonné 1,3 milliard de dollars, notamment dans les caisses de la Sécurité sociale algérienne. Cela repart sur l'oncle du prophète. De plus en plus technique, la discussion. Chacun sort son Coran. Tous se disent très pratiquants. «Mais voler l'Etat n'est pas pécher. Qui ne prend pas sa part ?» Ali Belhadj, ils n'en connaissent que le nom. Mais c'est un des seuls noms qu'ils connaissent. La plupart avaient 10 ans à peine quand il a été arrêté en 1991. «