Monrovia envoyée spéciale
Depuis le quatrième étage d'un hôtel en ruine, le lieutenant Abel Gibson observe les mouvements de troupes en contrebas. Ce matin-là, les forces gouvernementales lancent une offensive pour reprendre les ponts Old Bridge et Johnson Tucker Bridge qu'elles disputent aux re belles depuis une quinzaine de jours. Attroupés aux fenêtres, certains sont surexcités. Abel reste impassible. «C'est la cin quième fois qu'ils essayent.» Rapidement, les tirs s'intensifient. Les balles perdues ricochent sur les murs à l'extérieur du bâtiment. Blasé, le soldat s'écarte mollement de la fenêtre. Ça ne l'impressionne pas. «J'ai 24 ans, je me suis enrôlé à 13 ans, j'ai été entraîné par l'armée dans un camp près de l'aéroport. Ensuite j'ai été capturé par Charles Taylor et je me suis battu pour lui.»
De sa poche, il sort un magazine jauni édité par une ONG. En couverture, un gosse torse nu brandit une kalachnikov, la tête entourée d'un bandana rouge, un poignard attaché au bras par une lanière de cuir : «C'est moi quand j'étais jeune.» Son petit frère Adama, qui vit avec lui dans l'hôtel, s'approche de la fenêtre. Abel lui fait signe de se mettre contre le mur. Adama ne sera jamais un combattant parce que «c'est trop risqué». «La guerre chamboule tout, philosophe le lieutenant. Ceux qui, en temps normal, n'auraient pas bougé voyagent, ceux qui n'auraient jamais tué tuent, les pauvres deviennent ri ches.» Et il conclut, pensif : «En ce qui me concerne, j'ai tout perdu.»
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