Timide, mal à l’aise en public et peu loquace, Paul Kagame n’était pas destiné à devenir un dirigeant politique de premier plan. «Cela ne me gênerait pas de redevenir un homme ordinaire, de m’effacer», confiait, il y a près de dix ans, l’énigmatique chef des rebelles du Front patriotique rwandais qui venait de s’emparer du pouvoir à Kigali. A l’issue du scrutin de lundi, cet homme longiligne, qui dépasse le mètre quatre-vingt-dix, devrait devenir le premier président élu du Rwanda depuis le génocide du printemps 1994. Un président malgré lui, qui, en homme de devoir, a accepté de vaincre ses réticences pour accomplir la tâche fondamentale qu’il s’est assignée : tout mettre en oeuvre pour éviter un nouveau bain de sang dans son pays.
Longtemps, Paul Kagame fut l'homme d'un seul rêve : celui de rentrer au Rwanda. Il a à peine 4 ans, en 1961, lorsque sa famille, issue de la minorité tutsie, doit quitter en catastrophe un pays déjà secoué par les tensions interethniques. Apparenté par sa mère au clan (les Bega) d'où provenaient les reines mères, il grandit dans les camps de réfugiés en Ouganda. Il y découvre le goût amer et tenace de l'injustice. «Qu'avons-nous fait pour être ici ? Qu'est-ce que tu as fait de mal ?, demande-t-il à son père, un commerçant prospère. Il n'a jamais su me répondre. Alors, pendant des années, j'ai cherché à savoir quelle faute il avait bien pu commettre avant de découvrir que son crime était, en quelque sorte, biologique : celui d'être tutsi (1).»
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