Depuis cinq mois, Yunus Barker, un charpentier de 51 ans, arrive chaque matin à 6 h 30 au «check point» turc, un sac plastique à la main avec quelques affaires de rechange et son casse-croûte, puis traverse à pied le no man's land jusqu'au point de contrôle grec des autorités de la République de Chypre qui vérifient attentivement ses papiers. De là, un minibus l'emmène jusqu'au chantier. Douze heures plus tard, il recommence les mêmes formalités dans l'autre sens pour rentrer chez lui. «C'est épuisant et humiliant, mais là-bas j'empoche en une semaine ce que je gagnais ici en un mois», explique Yunus, qui, depuis, a fermé son échoppe dans la partie turque de Nicosie.
Comme lui, quelque dix mille Chypriotes turcs vont quotidiennement travailler «de l'autre côté», surtout dans le bâtiment. Les miradors et les barbelés de la «ligne verte» partagent toujours la capitale chypriote, comme le reste de l'île, depuis l'invasion turque au Nord, en 1974. Mais ce «mur», presque totalement hermétique pendant vingt-neuf ans s'est ouvert, le 23 avril dernier, quand Rauf Denktash, le très nationaliste président de l'autoproclamée République turque de Chypre Nord (RTCN), a dû lâcher du lest sous la pression de sa population. Maintenant on va et vient de part et d'autre, même si l'île reste toujours divisée entre une République de Chypre grecque, seule autorité légitime au niveau international, et la RTCN, reconnue seulement par Ankara, qui assure près de la moitié de son budget et y maintient