La première fois, il était mort. Ce fut donc la dernière. Une nuit de mai comme seul novembre en ose. Une nuit de brouillard glacé, d'anoraks humides, d'écharpes relevées et de poings dans les poches. L'émeute avait cessé. Belfast chuchotait. La ville avait sa gueule grise. Celle des jours mauvais. Juste avant le drame, ou alors juste après. Tout allait renaître avec l'aube, les cris, les pierres et les bruits du feu. Bientôt, les vieilles reprendraient leur place sur les trottoirs, à genoux, leur rosaire à la main, nous le savions. Mais ce soir, tout se taisait. Tout se taisait parce que Bobby Sands était mort. Et que c'était impossible.
«Ne pose pas de questions. Ne prends pas de notes», avait dit notre accompagnateur. «Ne parle plus», a commandé un autre.
Que savons-nous de Bobby Sands ? En fait, rien. Ou peu. Ce que chacun savait de lui. Son visage, d'abord. Un sourire en noir et blanc sur les murs nationalistes, son regard à chaque fenêtre, au-dessus des cheminées, dans les portefeuilles, sur les agendas d'écoliers, piqué au revers des vestes, imprimé sur les maillots d'enfants, dans les pubs, les magasins, tatoué sur des peaux, brodé sur des drapeaux, en affiches, en calicots, en banderoles. Une photo. La même, toujours. La seule presque, prise en 1976 à la prison de Long Kesh. L'image unique que nous avions de lui.
«Respecte le silence», avait dit notre accompagnateur. C'était la nuit du 7 mai 1981. Nous étions à Twinbrook, un quartier catholique du sud-ouest de Belfast.