C'était le défi qu'ils se lançaient pour se prouver qu'ils n'avaient pas froid aux yeux, les jeunes gens bien nés de l'Alger colonial, c'est-à-dire nés français. Il fallait traverser la Casbah, de haut en bas. Enfiler ces ruelles sombres même en plein midi, cette alternance incompréhensible de placettes parfois désertes, parfois bondées , plonger dans cet inconnu fait d'encorbellements délicats, de marches boiteuses, de brusques échappées vers des patios, cet enchevêtrement de pauvreté et d'élégance, de rigorisme et de fripouillerie. Dévaler les escaliers, ceux qu'on voit dans Pépé le Moko et qui, autant que les peintres orientalistes, lui ont taillé cette réputation de «pittoresque», entre l'éclat des soieries et l'éclair des couteaux. Arriver à bout de souffle vers la Basse-Casbah, un peu sanctuaire, un peu bordel. Passer les fumeries de haschich. Puis le Sphinx, maison de luxe, la plus sélect, où l'on s'offre aussi bien une Marseillaise qu'une musulmane. Quand paraissent les marchands de sardines, ça y est. Gagné. On allait boire l'anisette place Clemenceau, dans les quartiers fréquentables de la ville européenne.
Après le début de l'insurrection, en 1954, ne se risquent plus dans la Casbah que quelques journalistes de l'Echo d'Alger, persuadés que le pouls de la guerre se tâte là. Jusqu'au jour où l'un d'eux y est assassiné : il était l'un des seuls Français à y habiter. Alors on n'y voit plus que les paras de Bigeard. Ils vont finir par la gagner, mais au prix fort, l