Le nez dans son dossier, le fonctionnaire a répété : «Qu'attendez-vous de l'Etat ?» «Qu'il me rende mon fils», a dit Nacera. L'homme s'est obstiné «mais encore ?» Nacera aussi. L'employé s'est fait pédagogue : «Mais vous avez bien quelque chose à demander à l'Etat ?» «Rien, je veux mon fils. Vivant comme vous l'avez pris.» L'homme a marqué un temps, levé le nez et, navré de tant d'incompréhension, a lâché : «Et s'il était mort ?» Nacera a accusé le coup. Messaouda, elle, a crié sa colère, avant de s'écrouler en larmes.
Une fois, mille fois, la scène s'est rejouée dans les bureaux de l'ex-ONDH (l'Organisation nationale des droits de l'homme) en ce mois d'août à Alger. Elles étaient des centaines, jeunes ou très âgées, entassées derrière la grille «à partir de 9 heures du matin», comme indiqué sur la convocation. Par 43°, elles ont attendu des heures durant, parfois toute la journée sous un soleil de plomb, qu'on les appelle.
Culpabilité de l'Etat
A raison de 200 convocations par jour, l'Algérie d'Abdelaziz Bouteflika, forte de la lassitude d'une société épuisée par dix ans de sale guerre contre les islamistes, a décidé d'en régler définitivement le dossier le plus épineux. Le seul où la culpabilité de l'Etat est établie et imprescriptible : les «disparitions» imputées aux forces de sécurité. Les autorités, tout en évoquant un chiffre très inférieur à celui des associations humanitaires 10 000 à 20 000 disparus ont, pour la première fois, reconnu un chiffre dont l'ampleur