Ankara envoyé spécial
Un peloton de policiers antiémeute avec casques et boucliers campe l'arme au pied au premier étage du palais de justice de la capitale turque, à côté de la petite salle où s'entassent défenseurs des droits de l'homme, diplomates occidentaux et représentants de l'Union européenne. Après celui du célèbre romancier Orhan Pamuk, finalement relaxé par un tribunal d'Istanbul, c'est un nouveau procès test pour la liberté d'expression en Turquie qui s'est ouvert hier à Ankara contre deux universitaires de renom, Baskin Oran et Ibrahim Kaboglu, accusés «d'insulte à la justice turque» et «d'incitation à la haine». Ils risquent chacun jusqu'à cinq ans de prison.
«Affaire absurde». «C'est la liberté de pensée qui est jugée ici», a lancé aux juges Ibrahim Kaboglu, constitutionnaliste. «C'est une affaire absurde qui humilie la Turquie», s'indigne Baskin Oran, professeur de sciences politiques à l'université d'Ankara. Tous deux étaient membres du Conseil pour les droits de l'homme dépendant du Premier ministre. Ils avaient rédigé à l'automne 2004 un rapport accablant sur la situation des minorités en Turquie, dénonçant «un climat de paranoïa» et soulignant que «les plus inoffensives revendications identitaires sont considérées comme une volonté de division, et donc réprimées» (Libération du 15 décembre 2004). Le document proposait des amendements constitutionnels et législatifs en faveur des minorités qui viendraient s'ajouter aux réformes proeuropéennes déjà adoptées.