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Libération
Reportage

L'art de la farce

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Son université est la plus ancienne d'Europe, mais Bologne la docte n'oublie pas sa cuisine. En tête de ses fiertés, les tortellini, garnis selon une recette officielle et certifiée.
publié le 18 février 2006 à 20h22
Quelle main ! Un battoir large comme une planche, charnu comme un jarret, et agile avec ça. Un index sert de tuteur, l'autre façonne, puis le pouce pince. En deux temps trois mouvements, les doigts verrouillent les extrémités d'une fine pâte carrée aux oeufs, emprisonnant la farce. Les tortellini s'alignent en rangs serrés sur le plan de travail. Bientôt, ils seront cuits dans le brodo, le bouillon de viande de chapon ou de poule et servis avec. Dans ces moments-là, il ne viendrait à quiconque l'idée d'asticoter Lino Rossi, le chef du restaurant Franco Rossi. Dans sa cuisine minuscule briquée comme un sou neuf, comme dans son restaurant un brin guindé, niché près de la via dell'Indipendenza, ce géant à la voix de stentor a souvent le dernier mot. Même si chez lui, comme chez beaucoup d'autres restaurateurs, ce sont les sfogline, les femmes, qui font la pâte, se transmettent les recettes de mère en fille et fournissent les bonnes tables de la ville.

Le chef s'invite à table avec les ingrédients : échine de porc, mortadelle ­ «de Bologne uniquement, car celles de Naples ou de Trente sont trop grasses» ­, jambon cru, parmesan, jaune d'oeuf, sel, poivre et noix muscade. «C'est la recette officielle et je la respecte à la lettre.» Hors de question de déroger à la règle, en l'occurrence un acte notarié déposé à la chambre de commerce de Bologne, le 7 décembre 1974, dans lequel la composition de la farce est «codifiée» et «certifiée» conforme aux us et coutumes. Est-ce la présence de la plus ancienne université d'Europe qui confère ce sérieux et cette pompe à la tradition ? Dandy érudit et auteur d'un ouvrage aussi documenté qu'inattendu sur le sujet, Sa Majesté il tortellino, Giancarlo Roversi a la réponse : «N'oublions pas que la cuisine est l'une des richesses de cette ville et qu'elle doit cette fortune à l'université.»

Spaghetti à la napolitaine

Dans cette ville de 400 000 habitants ­ dont 80 000 étudiants ­ «Bologne la docte» et «Bologne la grasse» ne vont jamais l'une sans l'autre. Il n'y a qu'à voir les pâtisseries, saucissons, fromages et pâtes étalés dans les vitrines comme au sortir d'une corne d'abondance. Ou aller fureter, à l'abri des mythiques portiques, via del Pratello, via Belle Arti, via Saragozza, etc. dans les osterie, trattorie et autres enoteche où se retrouvent les Bolonais pour manger un morceau (compter 10-12 euros pour une assiette de tortellini al brodo), boire un verre et tailler un