Madrid de notre correspondant
Salif fait un rapide calcul : «Maintenant que je suis arrivé en Espagne, ma mission ici est de faire vivre onze personnes.» A 24 ans, ce Sénégalais de Ziguinchor (Casamance) s'est embarqué, début mai, à Dakar à bord d'un cayuco (pirogue de pêcheur), avec cinquante personnes. Au terme d'une traversée de neuf jours «Ça m'a paru interminable, avec des moments de frayeur comme je n'avais jamais connu» , il débarque à Tenerife, aux Canaries. En comparaison, ce qui suivra lui paraît une sinécure : dix jours dans un centre de transit, dix autres dans une caserne près de Las Palmas. Il est ensuite, comme beaucoup d'autres, envoyé, faute de place dans ces centres d'accueil, sur la péninsule.
«Irréprochable». Le voici désormais à Lavapiés, un quartier du centre de Madrid où s'installent beaucoup d'immigrés. Que faire, désormais, pour remplir sa «mission» ? Comme tous les Africains qui ont risqué leur vie pour rejoindre le supposé eldorado européen, Salif est muni d'un avis d'expulsion. «Les autres m'ont expliqué : cela veut dire que la police nous laisse tranquille pendant trois ans... Si on ne fait pas de bêtise, bien sûr.» C'est son obsession : ne rien faire d'illégal. «Si un policier me contrôle, je veux être irréprochable.» Salif dort chez un cousin, à Lavapiés. Chaque jour, il tente de vendre à la sauvette des tableaux peints au sable : «J'en vends un ou deux par jour, entre 15 et 20 euros pièce ; je ne s