Le regard dans le vide, Britta Modin, 57 ans, raconte sa vie dans le désordre. Les souvenirs se télescopent. Noël 1952 à Stockholm. Son père, alcoolique, rosse sa mère. Le lendemain, Britta et sa soeur jumelle sont placées dans une maison d'enfants. Elles y resteront trois ans, avant d'atterrir chez une famille d'accueil à Mullsjö, dans le centre de la Suède. «Nous avons de la chance d'en être sortie vivantes», dit-elle. Pendant dix ans, les deux fillettes servent de souffre-douleur à la femme qui les héberge. «Elle nous traitait de bohémiennes, de putains. Elle nous frappait et disait qu'on était bonnes à rien. On pensait qu'on ne valait pas mieux.»
Cinquante ans plus tard, Britta souffre de douleurs multiples.«Les médecins ont découvert des fractures qui n'ont jamais été soignées.» Elle a été placée en invalidité. Le 31 octobre, elle doit rencontrer un membre de la commission d'enquête chargée de recueillir les témoignages sur les mauvais traitements infligés aux enfants placés par l'assistance sociale avant 1980. Elle redoute ce plongeon dans le passé. Mais «la Suède doit reconnaître ce que j'ai subi», dit-elle, assise dans son salon à Malmö, au milieu de photos de famille. Plus d'une centaine de Suédois ont déjà témoigné. Göran Johansson, qui dirige l'enquête, parle d'une «commission vérité». Les entretiens durent entre deux et trois heures. Ils sont souvent difficiles pour les victimes comme pour leurs interlocuteurs. «Il faut éviter