Ils auraient pu s'asseoir ailleurs mais, non. De toutes les tables libres, ils avaient choisi celle qui jouxtait la mienne, comme si je n'étais pas là, comme si je n'étais pas, déjà, d'assez mauvaise humeur après ce coup de fil de Libé. «Cette semaine, m'avait dit le journal, il nous faudrait un papier optimiste.» Je déteste les commandes. Numéro spécial ou pas, «Reporters d'espoir» ou pas, ça me donne tout de suite l'impression d'écrire sous la dictée et ces deux sportifs achevaient, maintenant, de m'assombrir avec la préparation de leurs vacances.
- Avec tout ce qui se passe, il faut vraiment qu’on en profite, disait le petit blond en finissant sa terrine de pied de porc.
- C’est quand même pas la fin du monde, lui répond le grand chauve, qui avait choisi, comme moi, la salade de lentilles tièdes au haddock.
- Ah non ? T’as vu la Chine ? Les usines qui ferment ? Les millions de chômeurs qui vont repartir dans les campagnes, crever de faim ?
- J’ai lu, et après ?
- Après, tu te souviendras longtemps de tes dernières pistes avant la guerre.
Je commençais à tendre l'oreille. C'est à peine si le chauve en avait vu arriver son rôti de veau aux petits légumes verts : «La guerre ? Quelle guerre ?»
- Je n’en sais rien, mais la guerre. Les Chinois vont dévaluer. Ils n’auront pas le choix. Les Occidentaux leur opposeront des barrières douanières. Les Chinois n’auront plus qu’à brader leurs bons du Trésor américain. Obama devra remonter ses taux