Quelques jours avant Noël, les Cubains apprennent qu'à l'occasion des commémorations du cinquantième anniversaire du «triomphe de la Révolution», dont la plupart se fichent ou s'agacent, l'Etat va distribuer «media libra de picadillo de res por persona». Autrement dit, 230 grammes de bœuf haché par personne. C'est la mesure la plus remarquable, et la seule que les insulaires, avec leur goût baroque du commentaire, de la langue comme substitut comique au vide ambiant, vont indéfiniment discuter.
Le picadillo est un élément important de la cuisine cubaine, mais il est devenu un plat de luxe. La viande de bœuf est depuis longtemps réservée aux touristes, aux privilégiés, à ceux qui peuvent en acheter au marché noir. On en trouve parfois, sous plastique, dans des magasins en CUC ou pesos convertibles (1), mais pas dans les bodegas (épiceries d'Etat ne fonctionnant qu'avec des cartes de rationnement). Sa vente de particulier à particulier est interdite et son trafic est puni de quatre à dix ans de prison. Tuer sa femme peut être moins grave que tuer une vache, car, dans le second cas, les circonstances atténuantes n'existent pas. Ce qui n'empêche pas le bétail de disparaître, ni les paysans de manger une viande rebaptisée avec inventivité par une série de pseudonymes, noms de poissons ou de légumes. On ne compte plus les blagues sur les vaches que l'on aurait trouvées miraculeusement découpées par un train.
La plupart de ceux à qui l’on demande d